Créé il y a huit ans, le bureau d'études Amoes se démarque par une démarche globale ainsi qu’un souci de la qualité de conception et d’exécution. Présent dans l’entreprise depuis 2008, membre de cette coopérative depuis l’an dernier, Vincent Coste, diplômé en génie des procédés et environnement de l’INSA de Toulouse, responsable du pôle R&D et des études énergétiques d’Amoes, présente les sujets phare de ce groupe d’ingénieurs très impliqués.
- Comment avez-vous vu le métier évoluer depuis votre création ?
- Amoes a été créé pour travailler sur les bâtiments à très basse consommation d'énergie. En 2007, nous étions une minorité de bureaux d'études à avoir opté pour ce choix. Ce n'est plus le cas aujourd'hui ; tous se sont penchés sur ce sujet et ont créé des filiales qui traitent spécifiquement la conception de tels ouvrages. On se sent moins seuls, nous voyons plus d'études produites par les confrères. Ce qui a pour effet de produire une émulation et de changer notre approche, notre méthode et notre production d'études. En clair nous les avons complétés dans un souci de précision, en nous rapprochant le plus possible de la physique du bâtiment.
Dès le début, nous avons exploité les possibilités de la simulation thermique dynamique en affinant le rendu de l'analyse. Désormais, nous travaillons sur de nouveaux sujets, comme la migration de vapeur d'eau dans les parois. Nous répondons aussi à des missions d'exécution de maîtrise d’œuvre très spécifique… En clair, nous rentrons plus dans le détail, et c'est quelque chose dont nous avions besoin, surtout sur la partie CVC.
- Pourquoi cette orientation sur le sujet de la migration de vapeur d'eau ?
- C'est le résultat des retours d'expériences livrés par la profession, notamment les travaux d'Enertech. Que se passe-t-il dans une paroi notamment ossature bois ou après une rénovation ? C'est un sujet que nous traitons avec une application développée par le Fraunhofer Institute allemand. Il en va de même pour le calcul dynamique des ponts thermiques en 2D et en 3D : nous les réalisons avec des outils de calcul distincts de ceux destinés à la STD « classique ». De même, nous invitons les donneurs d'ordre à se soucier plus de mise au point des installations, car elle a un impact majeur sur la pérennité des équipements.
- Est-ce que ce sont des prestations classiques ou optionnelles de vos offres ?
- Pour de nombreuses missions, nous jugeons que ce travail est nécessaire et nous proposons la prestation. Sinon, nous pouvons aussi l'effectuer même si on ne nous l'a pas demandé, ce dans un souci de qualité. En rénovation, la migration de vapeur est un sujet rarement traité. Mais nous en connaissons les conséquences, et nous ne prenons pas le risque de ne pas le faire.
Pour ce qui concerne la mise au point, nous faisons beaucoup d'opérations préalables à la réception. Dans le cadre de nos missions de maîtrise d’œuvre classiques, nous venons poser nos instruments de mesures pour réaliser des mesures ponctuelles – aérauliques, hydrauliques, thermographiques… Ce type de prestations figure aujourd'hui dans l'offre de base, car nous estimons qu'on ne prend plus le temps de faire de la mise au point. Ces opérations préalables sont indispensables pour avoir le minimum de réserves, et surtout, les lever le plus rapidement.
- Ce travail servira au commissionnement ?
- Concrètement, il se fait actuellement très peu de commissionnement. Et c’est pour cette raison que nous réalisons systématiquement ces mesures ponctuelles en opérations préalables à la réception.
Nous tirons les enseignements des retours d’expérience des appels à projets sur des bâtiments basse consommation de la Région Centre. Et, très clairement, les problèmes portent sur la mise au point. Les maîtres d’ouvrage acquièrent des équipements performants, le travail de conception est bien fait… Mais la maîtrise d’œuvre n’est pas toujours présente sur le chantier jusqu’à sa fin, l’occupant est pressé d’entrer dans le bâtiment… Et la mise au point n’est pas faite. On connait les conséquences : la gestion technique centralisée ne fonctionne pas, des débits hydrauliques ou aérauliques ne sont pas équilibrés… Il faut que les maîtres d’ouvrages soient plus exigeants vis-à-vis des bureaux d’études sur cet aspect « mise au point des installations », et qu’une mission y soit dédiée. Contractuellement, nous ne devons pas cette mission au maître d’ouvrage, mais nous la réalisons. Grâce à cela, nous aurons un minimum d’interventions à gérer dans le cadre de la garantie de parfait achèvement. Actuellement, c’est un accompagnement des entreprises sur le chantier. Ils en sont généralement très satisfaits.
- Quelles sont vos principes de base lors de vos interventions ?
- À partir du budget, nous préconisons une bonne enveloppe du bâtiment, une installation adaptée – des systèmes efficaces et, autant que possible, avec des solutions à énergies renouvelables –, une conception et une exécution soignées. Si les moyens disponibles ne permettent de réaliser qu’une isolation d’enveloppe et une ventilation, on se limitera à cela, et nous proposerons de revenir sur les autres équipements plus tard.
- Comment voyez-vous le bureau d’études de demain ?
- Pour qu’il soit efficient, il est souhaitable que le métier soit le plus transversal possible, et que bureau d’études soit présent de la conception à l’exploitation.
L’avenir, c’est aussi de ne plus être simplement un bureau d’études « fluides », mais de devenir un physicien du bâtiment au sens large. Il est nécessaire d’avoir cette approche physique tant au niveau des systèmes qu’à celui des enveloppes.
- Travaillez-vous avec les bureaux d’études « structures » ?
- Nous ne sommes pas un bureau d’études structure, mais nous allons travailler avec eux en étroite collaboration en conception. Classiquement, l’enveloppe est traitée par trois intervenants : l’architecte, le BE « structures » et le BE « thermique ». Et de fait, les responsabilités sont souvent diluées : il faudrait qu’elles soient mieux définies et prises en charge par un seul intervenant. Le sujet est délicat, que ce soit en réhabilitation avec des parois à rénover souvent complexes, ou dans le neuf avec des structures bois. En Suisse, ce métier de physicien du bâtiment existe. Il ne s’agit pas de prendre la place de l’architecte ou des ingénieurs structures, mais plutôt de dire : il faut une mission « enveloppe », et l’affecter à un membre de l’équipe de maîtrise d’œuvre qui en assurera réellement la synthèse. Le but est d’éviter les incohérences entre les préconisations, et même d’en permettre l’appropriation par tous les concepteurs. Car il n’est pas rare de lire dans les CCTP des architectes : « composition des parois, cf études thermiques ». Ce point sur l’enveloppe est important, car il concentre les sujets des caractéristiques thermiques des parois, l’étanchéité à l’air, les ponts thermiques, la gestion des problèmes d’humidité, le confort d’été…
- De votre point de vue, la relation entre le maître d’ouvrage et le BE fluides a-t-elle récemment changé ?
- La réglementation thermique 2012 a fait évoluer cette relation : il faut que le projet passe la phase de premier calcul. Certes, la thermique a été remise au centre de la conversation. Et le revers de la médaille, c’est l’orientation une peu obsessionnelle vers une réponse à ce calcul. Or, il y a des lacunes dans la RT 2012 – je reviens sur la non prise en compte de la migration de vapeur, mais on peut aussi parler des cas de surdimensionnement du solaire thermique pour passer dans le calcul dont on sait que c’est un contresens en termes d’exploitation, et de la quasi-absence du sujet de la qualité de l’air intérieur. Et le maître d’ouvrage n’a plus l’oreille pour ces sujets.
Mais nous intervenons globalement sur la performance environnementale des bâtiments. Ce qui nous amène à avoir des réflexions sur l’analyse des cycles de vie, sur la qualité des matériaux. Et, pour témoigner de l’évolution sensible des relations, sur plusieurs affaires, les maîtres d’ouvrages nous ont donné la mission de mandataire de l’équipe de maîtrise d’œuvre sur des réhabilitations énergétiques ; l’architecte est alors notre cotraitant. Sur des sujets qui portent essentiellement sur les fluides et les enveloppes, c’est une expérience intéressante.
- Pourquoi votre bureau d’études, tout particulièrement, reçoit-il ce type de mission ?
- Nous sommes très peu nombreux à avoir, d’emblée, voulu faire conjointement des études de performance environnementale et de fluides. Et notre plus-value – directement liée à notre formation par le BET Enertech – porte sur l’utilisation de la mesure et l’exploitation de ces retours d’information. Ce que nous apprécions particulièrement, c’est de recevoir du maître d’ouvrage une demande de suivi des installations. C’est un gage d’amélioration future. À la faveur de la RT 2012, ce type de demande devient plus courant. Cette réglementation a eu pour effet d’élever le niveau minimal des prestations.
- Comment intégrez-vous les acquis des pays voisins, Passiv Haus ou Minergie ?
- Nous sommes membres de l’association Maison Passive en France. Nous allons livrer une crèche certifiée passive à Nogent-sur-Marne, et sommes en chantier sur un immeuble R+5 en structure bois à Montreuil (y compris les planchers). Ce dernier devrait porter les labels PassivHauss et Matériaux biosourcés, sans énergie renouvelable et pour un coût au mètre carré SHAB de 1885 € hors taxes. Soit, du passif pour le coût du BBC.
- Faîtes-vous école, et travaillez-vous aussi en réseau ?
- Depuis peu, nous faisons partie des réseaux VAD, Villes et aménagements durables, de l’Iceb, l’Institut pour la conception écoresponsable du bâti. Avec cet institut, nous participons à la réflexion sur le Grand Paris et à la prise en compte du bâtiment passif, de la performance énergétique et environnementale dans ce projet urbain. Nous participons à la rédaction d’un document qui sera adressé aux décideurs des collectivités du Grand Paris.
Autre manière de diffuser nos méthodes, c’est s’investir dans des missions d’assistance aux maîtres d’ouvrages. Dans le cadre des appels à projets régionaux, nous avons un rôle de formation des responsables ou des bureaux d’études. De même, lorsque nous sommes en mission d’AMO énergie dans des ZAC, nous essayons de traduire nos pratiques de maîtres d’œuvre dans les cahiers des charges.
- Quel est votre part d’activités hors de la maîtrise d’œuvre ?
- Nous consacrons environ 20 % du temps à la formation interne ou externe, à la recherche et au développement et à la création d’outils spécifiques. Nous faisons d’ailleurs parfois des développements, comme l’outil d’estimation des consommations réelles réalisé avec Enertech. Nous l’avons fait évoluer pour estimer les charges réelles de locataires. Nous avons aussi travaillé sur les salles serveurs – c’est parfois 50 % de la consommation énergétique d’un bâtiment –, et les grandes cuisines. Ce travail est synthétisé sous forme de notes techniques – nous en rédigeons quatre ou cinq par an – qui sont diffusées largement, notamment sur notre site internet et notre blog.
- Quelle évolution voulez-vous donner à votre bureau d’études ?
- Nous pensons que si un bureau d’études pouvait couvrir des missions de mise au point, nous pourrions nous engager sur les consommations énergétiques, avec des mesures de pénalité. Ce serait un gage de bonne communication entre l’architecte, le bureau d’études, l’installateur, l’exploitant et l’usager.
Des missions de commissionnement et de suivi devraient selon nous permettre à l’usager de pérenniser la maîtrise de ses charges. La mission de suivi pourrait prendre la forme d’une vérification annuelle du maintien des consignes initiales. Nous pourrions alors aller vers une garantie de résultat de l’exploitation des fluides. C’est un métier à inventer.
Nous posons cette réflexion sur une base très concrète. Aujourd’hui, les intervenants paient tous très cher en assurances – la décennale pour le bureau d’études, l’entreprise, la dommage ouvrage pour le maître d’ouvrage – pour éviter les problèmes au cours de la vie du bâtiment. En Suisse ou en Allemagne, les entreprises souscrivent une assurance pour deux ans, et seule l’équipe de maîtrise d’œuvre est couverte par une décennale. Un tel système responsabiliserait les concepteurs sur les chantiers et sur la réception.
- Portez-vous ce message auprès de la filière ?
- Nous sommes une entreprise encore récente, et nous pensons que nous avons encore besoin d’expérience mais nous en parlons autour de nous. Depuis notre création, nous avons participé à une centaine de chantiers et nous nous efforçons d’être consciencieux afin de ne pas avoir de sinistre et pourtant nous versons des primes d’assurances toujours plus élevées pour nos missions. Et nous remarquons que les plus élevées portent sur les installations à énergies renouvelables, l’isolation thermique ou HQE… Selon nous, ce n’est pas justifié et cela n’incite pas à changer les pratiques. Harmoniser, les coûts d’assurance, c’est responsabiliser les entreprises, les bureaux d’études et diminuer les coûts de constructions.