Rétrospective SOLIDEO : Episode 1. la construction bas carbone comme fil conducteur

Depuis 2018,  le groupement HYSPLEX (Amoès, une autre ville, Transfaire et Elioth) accompagne la Société de Livraison des Ouvrages Olympiques dans le cadre de sa mission d'Assistance à Maîtrise d'Ouvrage pour l'Excellence Environnementale des ouvrages.

Le premier volet de cette mission, piloté par une autre ville, a vu émerger la Stratégie d'Excellence Environnementale de la SOLIDEO, véritable feuille de route vers l'ambition phare de réaliser les premiers Jeux alignés sur l'accord de Paris sur le Climat, anticipant de 6 ans l'échéance de 2030.

La seconde phase, pilotée par Amoès, s'articule autour de la mise en œuvre opérationnelle des ambitions, leur suivi tout au long de la conception des projets, et de la vérification de leur atteinte à la réception. Dans le même temps, HYSPLEX accompagne la SOLIDEO dans l'établissement d'un bilan de la stratégie sur l'ensemble des thématiques, et en particulier sur le bilan carbone des Jeux.

L'une des ambitions phares de la SOLIDEO est d'inscrire l'ensemble des ouvrages dans la trajectoire de la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC). A l'échelle du Village des Athlètes, cela correspond à une réduction de 43% des émissions de gaz à effet de serre du quartier sur l'ensemble de son cycle de vie par rapport à des constructions classiques.

Dans ce premier épisode de notre Rétrospective, nous vous proposons de plonger au cœur de la stratégie Bas Carbone et de revenir sur la mise en œuvre opérationnelle de cette ambition, les résultats obtenus mais aussi les obstacles rencontrés et les solutions apportées.

 

Comment décliner une telle ambition sur le plan opérationnel ?

Une méthodologie commune

La responsabilité de la réalisation des bilans carbone a été partagée entre différents acteurs :

  • En phase Programmation, c'est notre groupement HYSPLEX qui a estimé l'impact carbone des opérations ;
  • En phase Etudes et Chantier, la responsabilité de ces études et de leur mise à jour a été reportée aux opérateurs et leurs bureaux d'études.

Il a donc fallu commencer par se doter d'une méthodologie de calcul commune à l'ensemble des acteurs et permettant de répondre à un enjeu majeur : d'une part, faire de ces bilans carbone de véritables outils d'aide à la conception, et d'autre part, s'assurer que leurs résultats correspondent au mieux à l'empreinte carbone réelle des projets, au moment de la réalisation de ceux-ci. 

Ce n'est en effet un secret pour personne, la base de données Inies connaît des évolutions fréquentes et importantes. Ces changements sont multifactoriels : mises à jour normatives, évolutions des hypothèses, modification des tailles d'échantillon pour les données par défaut, etc. et entrainent une variabilité conséquente des résultats d'un projet selon le moment de réalisation de l'étude.

Partant du principe que la vraisemblance d'une étude carbone repose sur la qualité et la fiabilité de la base de données associée, HYSPLEX a proposé une méthodologie de calcul permettant de s'affranchir de la variabilité de cette base, et de s'appuyer sur des données préfigurant au mieux l'état des lieux au moment de la réalisation des projets.

Notre méthodologie s'adosse donc au référentiel E+C- (et oui ! notre mission a commencé bien avant la RE2020), mais présente quelques adaptations sur les données qu'il est possible de prendre en compte, en fonction de l'avancement du projet :

  • Programmation : HYSPLEX s'appuie sur des ratios issus de ses retours d'expérience, notamment dans le cadre des missions d'Amoès en lien avec l'Observatoire E+C-, pour faire un bilan carbone prévisionnel de l'opération et guider la programmation ;
  • Conception / réalisation : en complément des données issues d'Inies et des configurateurs de FDES (Betie pour les bétons, Save construction pour les aciers et DE-Bois pour le bois), les bureaux d'études peuvent :
    • s'appuyer sur les données environnementales issues d'autres bases de données comme ADEME, ecoinvent, SeveTP, etc. ;
    • utiliser des données environnementales par défaut en s'affranchissant des coefficients de sécurité (compris entre 30 et 100% de l'impact carbone des produits considérés) ;
    • utiliser des données provenant de fournisseurs qui sont en cours de réalisation de leurs FDES même si celles-ci ne sont pas encore vérifiées par une tierce partie ;
  • Réception : les études en fin de chantier s'appuient exclusivement sur les données de la base Inies.

Cette approche méthodologique avait aussi pour objectif d'inciter la filière bâtiment à se mettre en ordre de marche pour l'arrivée de la RE2020 et de ses indicateurs carbone, en produisant massivement des FDES pour consolider et enrichir la base Inies.

 Notre méthodologie compte deux autres particularités :

  • La prise en compte des matériaux issus du réemploi : les matériaux issus du réemploi peuvent être considérés comme sans impact sur le bilan carbone pour la phase de fabrication des produits et équipements de construction. Néanmoins, les émissions liées à leur transport, mise en œuvre, entretien et renouvellement sur toute la durée de vie du bâtiment doivent être comptabilisées de la même manière que pour les matériaux non issus du réemploi. Si des matériaux sont remployés sur site, les phases transport et mise en œuvre sont négligées.
  • La comptabilisation des éléments provisoires : le bilan carbone SOLIDEO ne portant que sur la phase Héritage des ouvrages, les éléments temporaires étant en effet démontés. Si certains de ces éléments sont réemployés dans les ouvrages définitifs, ils sont comptabilisés dans le bilan carbone selon la même méthode que les éléments issus du réemploi.

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Crédit : SOLIDEO

Un budget carbone pour chacun des 62 ouvrages

La seconde étape consiste à définir les budgets carbone de chaque projet. Pour ce faire, nous avons réalisé une première évaluation carbone sur la base des programmes des différents ouvrages puis consolidé le bilan carbone global dès mars 2019, en amont de la mise en place des conventions d'objectifs entre la SOLIDEO, Paris2024 et les maîtres d'ouvrages. La réalisation des bilans carbone dans les phases suivantes est transférée aux opérateurs.

Ce travail avait pour objet de fixer pour chaque ouvrage un seuil maximal d’émissions carbone cohérent avec l’ambition portée par la SOLIDEO et le budget carbone de la candidature de Paris2024.

Plus précisément, le bilan carbone de chacun des ouvrages a été évalué selon trois scénarios correspondant à des choix techniques plus ou moins carbonés. Les principales différences entre ces scénarios sont liées au choix des matériaux et produits de construction, au niveau de performance énergétique et à la nature de l’approvisionnement énergétique (chaleur et électricité).

  • Un scénario « business as usual » correspondant aux pratiques usuelles du BTP (sans efforts additionnels bas carbone) a été défini pour constituer la référence à laquelle sont comparées les émissions des projets. En 2019, ce scénario correspondait aux standards actuels du secteur de la construction neuve « standard », conforme à la réglementation thermique et avec une structure en béton.
  • Deux scénarios avec réduction des émissions de CO2 :
    • Un scénario dit « bas carbone » qui correspond au choix des meilleures techniques disponibles ;
    • Un scénario dit « médian » qui correspond à un optimum entre performance environnementale et faisabilité technico-économique.

Lors de la définition des objectifs environnementaux pour les ouvrages sous supervision de la SOLIDEO, ces scénarios ont servi de base de discussion avec les différentes maîtrises d’ouvrages et opérateurs. Le budget carbone alloué à chaque ouvrage correspond, le plus souvent, à l'hypothèse médiane, ajustée en fonction des spécificités du projet ou des modifications programmatiques.

 

Et en chiffres, ça donne quoi ?

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Concrètement, comment fait-on pour respecter de tels objectifs ? 

Une programmation raisonnée

Il est évident que la maîtrise de l'impact carbone d'une opération repose en partie sur sa programmation. Dans le cadre des ouvrages olympiques et paralympiques, celle-ci a été orientée par un premier principe fort : utiliser en priorité les infrastructures existantes et s'appuyer sur les politiques de développement du territoire en faisant coïncider les plannings d'opérations avec le timing des JO, notamment dans le cadre du développement des ZAC du Villages des Athlète ainsi que du Village des Médias, ou encore du "Plan piscine" du département de Seine-Saint-Denis.

En tant qu'AMO, le groupement HYSPLEX a notamment accompagné la SOLIDEO dans son rôle d'aménageur de ces deux Villages, et ce dès l'établissement des plans masses, en privilégiant des formes urbaines compactes et en mettant en avant la recherche de sobriété plutôt que du geste architectural.

Nous avons également réalisé, en collaboration avec les équipes de maîtrise d'œuvre urbaine, des études comparatives sur l'impact carbone de différents modes constructifs et complexes de façades afin d'orienter les prescriptions architecturales, en particulier sur la matérialité des façades.

La programmation de ces quartiers a aussi été l'occasion d'inscrire l'évolutivité et la flexibilité des bâtiments au cœur de la conception, notamment sur le Village des Athlètes où une partie des logements accueillants les sportifs sont conçus pour évoluer dès fin 2025 vers un usage tertiaire. Cette contrainte, habituellement vague dans les programmes d'opération, a été déclinée en une série d'objectifs concrets : choix d'un mode constructif poteaux-poutres permettant de libérer de plus grandes surfaces, optimisation des trames constructives, réflexion sur les pas d'étage et les charges d'exploitation, anticipation des contraintes sur les lots techniques (distribution de chaleur, ventilation, trafic ascenseurs…), l'accessibilité et la sécurité des personnes, etc. de manière à favoriser la mutabilité en limitant les besoins de restructuration dans la vie du bâtiment.

 

Une conception sobre et bas carbone

La conception bas carbone des opérations olympiques et paralympiques repose sur trois grands principes, un peu à l'image du triptyque bien connu de la conception bioclimatique :

  • Sobriété : compacité, limitation des quantités de matière
  • Efficacité : choix de modes constructifs décarbonés et intégration de matériaux biosourcés ou géosourcés
  • Renouvelable : recours à l'économie circulaire pour limiter les quantités de déchets et l'épuisement des ressources

La première étape a été déclinée de différentes manières selon la typologie des opérations. Dans le cadre des réhabilitations, elle s'est principalement traduite par la conservation au maximum des éléments existants tandis que dans le cadre des opérations neuves, elle s'est appuyée sur des bâtiments compacts, aux formes simples ; sur des ratios de surface vitrée raisonnables afin de trouver un équilibre entre l'impact carbone des façades, les déperditions de l'enveloppe, la gestion du confort thermique d'été et l'accès à l'éclairage naturel ; sur la minimisation des voiles au profit de structures poteaux-poutres permettant à la fois de limiter les quantités de matière et de libérer les surfaces pour assurer une certaine flexibilité aux ouvrages ; ou encore sur la préfabrication afin de limiter les chutes de matière sur chantier (et répondre aux ambitions de chantier à faibles nuisances).

La seconde étape est celle qui a été porteuse d'un grand nombre de challenges et d'opportunités d'innovation pour les équipes de conception. Parmi les opérations remarquables en termes de décarbonation du mode constructif, le Village des Athlètes et la Centre Aquatique Olympique de Saint-Denis constituent de véritables vitrines de l'Excellence Environnementale portée par la SOLIDEO. Illustration en 3 chiffres :

 17 000 m3

C'est le volume de bois mis en œuvre sur les quelques 330 000m² de surface construite pour le Village des Athlètes, que l'on retrouve en priorité dans la structure des bâtiments résidentiels dont la hauteur du dernier plancher accessible est inférieure à 28m, et dans les façades à ossature massivement mises en œuvre sur le Village. Cela représente environ 23kg de bois/m², permettant quasiment l'atteinte du niveau 2 du label Bâtiment Biosourcé à l'échelle du Village des Athlètes (hors comptabilisation des autres matériaux biosourcés).

Les modes constructifs peuvent se décrire simplement comme suit :

  • Les logements "bas" (dernier plancher accessible à moins de 28m)
    • Socles et noyaux de circulation verticale en béton
    • Structure bois dans les étages (poteaux-poutres et planchers en bois)
    • Façades à ossature bois
  • Les logements "hauts" (dernier plancher accessible à plus de 28m)
    • Structure poteaux-poutres et planchers en béton bas carbone pour répondre aux contraintes de sécurité incendie
    • Façades à ossature bois dès que possible aux vues des contraintes liées à la doctrine Feu des Pompiers de Paris
  • Les bureaux
    • Structure béton bas carbone ou poteaux-poutres bois sur certains îlots
    • Façades à ossature bois

Nous reviendrons dans un prochain article sur le challenge de la construction bois sur les immeubles les plus hauts et les solutions trouvées pour permettre l'intégration du bois dans le respect des contraintes de sécurité, liées notamment à la doctrine feu des Pompiers de Paris.

SOLIDEO 02 BOIS

Crédit photo : SOLIDEO Sennse Cbadet

150 kgCO2/m3

C'est le poids carbone statique moyen des bétons mis en œuvre sur le Village des Athlètes. Les ambitions bas carbone pour ces constructions ont constitué une formidable opportunité de développement et de massification de la mise en œuvre de bétons (vraiment très) bas carbone.

Par exemple, sur le secteur Universeine, les typologies de béton mis en œuvre se répartissent comme suit :

  • 15% de bétons classiques : impact de l'ordre de 300 kgCO2/m3
  • 15% de béton bas carbone : impact de l'ordre de 200 kgCO2/m3
  • 70% de béton très bas carbone : impact de l'ordre de 100 kgCO2/m3

L'ensemble correspond à un poids carbone moyen de 145 kgCO2/m3, soit une réduction de moitié des émissions des bétons par rapport à un béton classique.

La réduction du poids carbone de ces bétons est principalement liée à la substitution du clinker par des matériaux issus de l'économie circulaire tels que des laitiers de haut fourneau, des fumées de silice, des cendres volantes ou par d'autres minéraux comme la pouzzolane et l'argile calcinée.

Il convient de rappeler que la mise en œuvre de béton dit bas carbone est plus contraignante, notamment parce que la prise du béton est ralentie lorsque les températures sont inférieures à 20°C. Pour tenir les délais contraints du chantier, il a donc fallu mettre en place des bâches isolantes et des portiques chauffants pour accélérer la prise. Une analyse des consommations induites n'a pas pu être faite mais elle serait nécessaire pour juger de la pertinence d'un tel procédé.

 102 kTeqCO2

C'est l'économie de CO2 émis à l'échelle du Village des Athlètes en exploitation, sur une durée de 50 ans. Convaincue que la performance carbone passe également par un approvisionnement énergétique décarboné et renouvelable, la SOLIDEO a œuvré pour la mise en œuvre d'un réseau de chaleur à l'échelle du Village, s'appuyant sur le réseau existant sur le secteur Pleyel et intégrant les usages des quartiers limitrophes dans le dimensionnement de la production de chaleur par géothermie. Avec un mix énergétique à 65% renouvelable et un contenu carbone de 60 gCO2/kWh, le réseau alimentant la ZAC constitue à lui seul un gisement d'économie de carbone gigantesque : 30% par rapport à un raccordement au réseau de chaleur existant et près de 55% par rapport à une alimentation au gaz de ville.

Combinée à une conception très performante de l'enveloppe thermique des bâtiments (isolation renforcée, limitation des surfaces vitrées, traitement exhaustif des ponts thermiques, étanchéité à l'air de l'enveloppe et des réseaux), les économies de carbone sur les 50 ans de vie théorique des bâtiments sont de l'ordre de 70%, ce qui représente 102 kTCO2.

 Réemploi et économie circulaire

L'économie circulaire a été placée au cœur de la stratégie environnementale : diagnostics ressources sur les bâtiments existants, déconstruction sélective, mise en place d'objectifs de valorisation et d'intégration de matériaux issus du réemploi dans les opérations, etc. Cette approche globale permet d’inscrire les ouvrages olympiques dans une logique de durabilité et d’exemplarité environnementale. Nous aurons l'occasion d'y revenir dans un autre article de cette série.

 

Un ingrédient secret pour tenir cette trajectoire bas carbone ?

La contractualisation des objectifs environnementaux via des conventions d'objectifs tripartites, et leur suivi à chaque phase du projet, ont contribué à la mise en marche d'un processus d'amélioration continue sur le sujet du carbone, en facilitant l'identification des dérives possibles et la mise en place de mesures correctives pour garder l'objectif en ligne de mire.

Mais cela ne suffit pas ! Notre mission d'AMO auprès de la SOLIDEO a été pour HYSPLEX une occasion rêvée de travailler sur une opération vitrine au rayonnement international, avec une chaîne d'acteurs impliqués, convaincus et engagés. Ce contexte très particulier a été source de beaucoup d'opportunités pour mettre au point des innovations et pousser plus loin les curseurs de l'Excellence Environnementale.

En complément de cette forte implication, le contexte réglementaire en pleine mutation a également constitué un tremplin pour la trajectoire bas carbone de la SOLIDEO. Rappelons qu'en 2018, lors de la définition de la stratégie environnementale, le cadre réglementaire était limité à la performance énergétique et la maîtrise de l'empreinte carbone des constructions relevait généralement d'une volonté de la maîtrise d'ouvrage dans le cadre du label E+C-. L'arrivée de la Réglementation Environnementale 2020 et de ses seuils Ic,construction et Ic,énergie, rebat les cartes de la conception bas carbone à l'échelle de l'ensemble des acteurs : maîtrise d'ouvrage, concepteurs, entreprises, fournisseurs, etc.

C'est dans ce contexte en pleine évolution que se sont inscrits les ouvrages olympiques et paralympiques, emportant avec eux toute la filière du bâtiment.

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Crédit : SOLIDEO

 

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Nous vous donnons rendez-vous en mai pour le prochain épisode qui sera consacré à l'adaptation au changement climatique et à la gestion du confort estival dans les bâtiments.

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