Alors que les élections municipales viennent de déboucher sur une prise de pouvoir inédite des partis écologistes dans des grandes villes, et que le président de la République s'est positionné sur les travaux de la Convention citoyenne pour le climat, l'actualité réglementaire pour le bâtiment s'agite elle aussi plus que jamais, quoiqu'avec un peu moins de vitrine médiatique. Nous vous proposons uns session de rattrapage, et une analyse de ce que l'on sait de la future RE2020.
Le contexte sanitaire a permis d'officialiser un glissement de calendrier que l'on appréhendait déjà : la future réglementation ne sera pas appliquée avant la mi-2021, 6 mois après la publication des textes qui restent attendus cet hiver. Attention, tout reste encore à trancher en ce qui concerne les futurs seuils réglementaires (quel niveau énergétique ? quel niveau carbone ? quels indicateurs font l'objet ou non d'une exigence réglementaire ?)... mais nous avons maintenant les idées plus claires sur la méthodologie, dont l'administration a fourni une copieuse présentation.
Sommaire de l'article :
Un point essentiel, pour commencer : il est toujours aussi important de ne pas laisser le sujet de l'impact environnemental des bâtiments se faire cannibaliser par les enjeux du neuf : c'est bien toujours dans la rénovation que se trouve le principal levier de réduction de l'impact carbone du secteur, et de très loin s'en faut.
À ce titre, et alors que la Convention citoyenne pour le climat a proposé une obligation de rénovation globale des bâtiments à l'horizon 2040, rappellons que d'inquiétantes orientations ont été prises sur la réforme du label BBC rénovation, du Diagnostic de Performance Énergétique (DPE), et de la modification du contenu CO2 de l'électricité et de son coefficient de conversion en énergie primaire. Nous nous sommes fait l'écho de la lettre ouverte portée par 18 organisations, parmi lesquelles Negawatt : on se félicite aujourd'hui que cette lettre ait conduit à l'interpellation du Ministère de l'environnement par une sénatrice, et on attend nous aussi la réponse !
On commence par les bonnes nouvelles : sans crier victoire trop vite, on peut saluer trois développements méthodologiques permettant de mieux valoriser le caractère bas carbone des produits biosourcés et le stockage carbone qu'ils permettent.
Une autre précision : le calcul du poids carbone dynamique viendra également pondérer les émissions liées aux consommations d'énergie, réduisant leur impact relatif dans le futur et impliquant mécaniquement un poids carbone plus faible pour le poste énergie dans le bilan global. Dans un bâtiment en béton, cela viendra donc augmenter le poids relatif de la partie construction... et donc renforcer l'intérêt d'une amélioration du EgesPCE avec un changment vers un mode constructif moins carboné.
Attention toutefois : comme rappelé en introduction, on n'a pour l'instant que les développements méthodologiques, et une description non hiérarchisée et non discriminée de tous les indicateurs calculés. Est-ce que ces indicateurs seront effectivement associés à un seuil réglementaire, ou resteront-ils seulement des indicateurs pédagogiques et d'afffichage ? La question reste entière, occupera une bonne partie des mois à venir, et sera sans doute très politique.
Projet de 17 logements passifs tout bois, conçus avec A003
Au rayon du périmètre des calculs, comme on pouvait l'imaginer, pas de révolution, mais des petits ajustements à venir. Au niveau spatial, la grande question concernait le lot VRD : souvent assez impactant, il peut recouvrir des réalités extrêmement diverses, qui échappent parfois à la maîtrise du maître d'ouvrage et du concepteur -en fonction des formes de parcelle et des règles d'urbanisme, notamment. Ce sujet avait fait l'objet de nombreuses discussions, avec des propositions allant d'une prise en compte partielle et/ou simplifiée jusqu'à la création d'un indicateur séparé, soumis -ou non- à une exigence. Sur ce sujet, tout l'enjeu est de ne pas faire d'impasse dans la comptabilité du carbone sans pour autant rendre les calculs impossibles. Finalement, la solution de compromis est le maintien du lot 1 VRD dans le bilan Eges... mais combiné à l'ajout d'un nouveau contributeur : les Aménagements et Usages de la Parcelle (Eges_AUP). Ce poste, qui fait encore l'objet d'un blanc dans la méthodologie, devrait comprendre les clôtures et les aménagements plus exotiques tels que les cabanes de jardin ou les piscines. On peut vraisemblablement faire le pari que cet indicateur AUP ne fera pas l'objet d'une exigence et sera un indicateur "pédagogique", là où le reste de la VRD resterait dans le lot 1 et dans le calcul du Eges, soumis à exigences.
Au niveau temporel en revanche, on reste sur un statu quo vis-à-vis du E+C- : l'évaluation carbone ne prendra pas en compte la démolition ni la dépollution. C'est un petit renoncement sur ce sujet qui méritait sans doute mieux : le bilan carbone d'une démolition/reconstruction est considérablement plus lourd qu'une réhabilitation et il nous semble regrettable de ne pas se doter d'un levier pour encourager les bonnes pratiques à ce niveau, d'autant que le label BBCA avait déjà lancer des pistes intéressantes au niveau méthodologique.
Autre renoncement, malheureusement aussi considérable qu'attendu : on confirme l'abandon d'un bilan énergétique vraiment complet, intégrant les consommations mobilières (électrodomestiques notamment). Le Bilan_BEPOS disparaît, et les futurs indicateurs de consommation énergétique ne prendront en compte que les bien connus 5 usages, tout juste augmentés des consommations immobilières (ascenseurs, éclairage et ventilation des parkings). C'est un abandon pur et simple de l'ambition du bâtiment à énergie positive, pourtant prévue par la directive européenne "Nearly zero energy buildings" et le Grenelle de l'environnement. Le Bilan_BEPOS n'était pas parfait mais il avait l'intérêt de poser franchement cette question et de mettre un chiffre (tout forfaitaire qu'il ait été jusqu'ici) sur les consommations électriques mobilières, qui sont devenues majoritaires dans le bilan énergétique des bâtiments ! Bien sûr, il fallait trouver le bon curseur entre comptage des consommations et ambition d'une part, et prise en compte de leur caractère mal maîtrisable d'autre part : mais E+C- avait ouvert une porte qu'il nous semble dramatique de refermer si vite ; si une chose est certaine, c'est qu'on ne peut pas réduire des consommations qu'on ne se donne pas la peine de compter et de mesurer.
Ces consommations électriques mobilières, si elles sortent du calcul des consommations énergétiques, seront toutefois évaluées, mais uniquement dans le but de déterminer le taux d'autoconsommation de la production électrique renouvelable à demeure (notamment photovoltaïque).
Ce point est dans la continuité de E+C- et les habitudes restent les mêmes : calcul du taux d'autoconsommation (qui dépend de la puissance installée et de la typologie de bâtiment), dont découlent ensuite une part de production autoconsommée et une part exportée, les deux étant déduites des consommations électrique pour aboutir au Bilan_BEPOS (après un jeu sur les coefficients de conversion). Dans la future réglementation, on garde le même principe, mais seule la production électrique autoconsommée est prise en compte et déduite des consommations énergétiques : l'électricité exportée n'est pas valorisée. C'est une volte-face importante sur le sujet, et il sera par conséquent plus difficile d'atteindre des hauts niveau de performance énergétique grâce au photovoltaïque, dont le bénéfice sera plafonné par la capacité du bâtiment à autoconsommer l'énergie produite.
L'énergie électrique exportée sera en revanche toujours prise en compte pour calculer l'éventuel bénéfice pour l'indicateur Eges de l'export d'une énergie moins carbonée que celle du réseau ; pas de modification sur ce sujet par rapport à E+C-. Enfin, une autre "faiblesse" de E+C- est maintenue : le poids carbone de construction de l'installation photovoltaïque (lot 13 du EgesPCE) est calculé uniquement à hauteur du taux d'autoconsommation. Comme nous vous l'avions présenté dans un précédent article, c'est une démarche qui n'est pas dénuée de sens physique... mais qui conduit à un oubli d'une partie du poids carbone des installations photovoltaïques, faute d'une prise en compte de l'impact marginal sur le facteur d'émission du réseau !
Projet de l'îlot fertile (crédits TVK)
Retour en arrière. Le Bilan_BEPOS apportait trois grandes nouveautés par rapport au Cep : les consommations mobilières (supprimées), la prise en compte plus fine du photovoltaïque (partiellement conservée, donc)... et surtout l'annulation des consommations énergétiques satisfaites par des énergies renouvelables. Alors, quelle suite sur ce sujet pour la RE2020 ?
Le suspense restera entier, car la méthodologie présente deux indicateurs : le Cep de la RT2012 (étoffé à la marge par les consommations électriques immobilières des parkings et des ascenseurs), mais également un nouvel indicateur Cep,nr qui comptabilisera les consommations en énergie primaire non renouvelables. Cela reprend cette fois l'esprit du référentiel E+C-, et impliquerait que les consommations de chaleur renouvelable (notamment) comptent pour 0. La grande question sera maintenant de savoir si ces indicateurs (Cep et Cep,nr) seront tous deux soumis à des seuils réglementaires !
Additionnellement, on vient définir un indicateur de ratio de chaleur renouvelable. Ce ratio permettra de "quantifier la part d'énergie renouvelable ou de récupération qui a été fournie au bâtiment pour assurer ses besoins en chaleur". Essentiellement, il reprend l'indicateur pédagogique RER de E+C- (ratio d'énergie renouvelable), mais en ne considérant que les usages thermiques. Là encore, la grande question sera de savoir si l'indicateur est purement pédagogique ou s'il sera assorti d'un seuil contraignant. Une précision importante : si l'on se base sur la réponse du ministère à la question d'un député du Rhône, la "chaleur renouvelable" prendra également en compte l'énergie récupérée par l'échangeur d'un système de ventilation double flux. Dans sa réponse, l'administration mentionne explicitement l'intérêt d'un tel système et sa volonté de le mettre en avant. Suffisant pour arrêter de considérer ce système comme exotique dans les logements ? Réponse dans quelques années...
Le plus important pour la fin, l'indicateur Bbio est logiquement conservé : espérons que cela soit assorti d'un tour de vis sur les seuils réglementaires associés, et que cela permette d'améliorer enfin signficativement la qualité moyenne de l'enveloppe des bâtiments neufs, encore trop médiocre en 2020.
Enfin, une dernière modification significative ; disparues la SRT de la RT2012 et la SDP de E+C- : les nouveaux indicateurs surfaciques s'appuieront respectivement sur la SHAB et la SU pour les bâtiments résidentiels ou non résidentiels. Ceci semble plutôt une bonne idée dans la mesure où l'on s'appuie sur des surfaces simplement définies et connues de tous, en opposition à la SRT.
La multiplication déjà constatée des vagues de chaleur et des épisodes caniculaires rendaient plus que jamais désuète la prise en compte terriblement sommaire du confort d'été dans la réglementation, avec l'indicateur de la TIC, héritage de la RT2005 et particulièrment peu parlant et contraignant dans la conception. La future réglementation intègrera une vraie évolution sur le sujet, avec :
Illustration du principe de confort adaptatif
L'indicateur des DH est une nouveauté très bienvenue qui vient traiter plus finement le sujet du confort d'été : le raisonnement avec des degrés-heure et pas uniquement une température de pointe permet d'ajouter une vision plus dynamique et d'étudier les surchauffes longues (mais pas extrêmes) dans les bâtiments, même si cet indicateur ne doit pas affranchir d'étudier les températures de pointe. Surtout, il intègre le principe du confort adaptatif, qui tient compte de l'évolution constatée de notre température de confort avec la température extérieure. En deux mots : cela permet de traduire le fait que s'il fait durablement chaud dehors, notre tempéraurte de confort augmente et s'adapte ; c'est ce qui explique pourquoi on apprécie 26°C au printemps mais qu'on grelotte sous une climatisation à cette même température pendant une canicule (et on déplorera que ce constat de bon sens soit souvent oublié des programmes de bureaux).
Quant au principe de climatisation fictive, il consiste à évaluer ces degrés-heure d'inconfort : s'ils sont faibles, tout va bien ; s'ils sont exagérement importants, il faudra reprendre l'enveloppe du bâtiment ; entre les deux seuils, on considère que "ça passe" mais qu'il faut anticiper qu'un système de climatisation puisse être ajouté ultérieurement... et on ajoute ces consommations de climatisation au Cep et au Cep,nr ! D'un point de vue schématique, le principe est le suivant :
Comme d'habitude, tout dépendra des seuils fixés, mais c'est un principe de calcul qui semble assez concret et intelligent, et dont on peut espérer qu'il conduise à mieux travailler sur l'enveloppe (protections solaires extérieures, ventilation naturelle...) pour limiter la sensibilité aux surchauffes.
En conclusion, on a du bon (biosourcé, confort d'été) et du moins bon (consommations électriques, périmètre de calcul). Ces orientations ont du moins le mérite de clarifier les éléments méthodologiques de la future réglementation, en s'appuyant comme promis sur l'expérimentation E+C- et sur le riche travail des groupes d'expertise.
La vigilance reste toutefois de mise, et le plus dur reste à faire : une fois définis tous ces indicateurs et principes, reste maintenant à choisir lesquels seront effectivement soumis à des exigences réglementaires, et le cas échéant, quelles seront ces exigences. Nous saluons l'introduction de l'ACV dynamique, d'un indicateur sur le stockage de carbone biogénique, ou encore la prise en compte sérieuse du confort hygrothermique. Il faudra maintenant aller au bout de l'exercice et assumer de fixer des exigences contraignantes sur ces indicateurs, pour enfin construire des bâtiments neufs en ligne avec les ambitions environnementales professées par ailleurs !