Vous n'êtes sans doute pas passés à côté du déluge de réactions qu'il a suscité depuis une semaine : l'État s'est finalement mouillé au travers d'un long communiqué de presse sur la RE2020, donnant ainsi du grain à moudre à tout le monde en attendant de voir arriver les projets de décrets et d'arrêtés dans les jours qui viennent.
Si vous êtes habitués de ces pages, vous aviez lu notre revue de la situation cet été : la méthodologie avait été publiée, en lançant de nombreuses pistes et en définissant de nombreux indicateurs, sur le bois, le confort estival, le photovoltaïque ou encore les consommations électriques. Il manquait toutefois encore l'essentiel, avec les niveaux des seuils et le caractère réglementaire ou non des indicateurs. C'est désormais en partie chose faite : suivez le guide !
On commence par là pour bien comprendre la suite : on s'y attendait et c'est confirmé, la RE2020 est annoncée comme progressive, avec un premier niveau de base et des renforcements futurs des exigences. Il y avait de nombreuses demandes en ce sens parmi les contributions de la dernière réunion de concertation, et l'État leur a donné raison. En substance, nous aurons donc :
Nous prenons acte de ce positionnement, avec toutefois un regret, et une inquiétude.
Un regret d'abord, car on entend ici qu'il faut "laisser le temps à la profession de s'adapter" et ne pas créer "une rupture trop forte"... Cela a bien sûr un certain goût de déjà vu (souvenons nous de la RT2012), mais surtout d'une légère hypocrisie : sans même parler des bâtiments "à énergie positive" annoncés depuis plus de 10 ans (et le Grenelle de l'environnement), rappellons que la route de la réglementation énergie-carbone est pavée par l'expérimentation E+C- depuis maintenant 4 ans ! Nous déplorons au quotidien que ce sujet n'a pas assez été pris au sérieux, loin s'en faut, par nombre d'acteurs de la construction. Et on constate malheureusement qu'ici comme trop souvent, le changement de paradigme volontaire se fait attendre, et les pratiques n'évoluent pas assez avant d'arriver au pied du mur réglementaire.
Une inquiétude enfin, car cette "progressivité" ressemble légèrement à la "dérogation" accordée aux logements collectifs pour la RT2012 : rappellons une nouvelle fois que le seuil symbolique des 50 kWh/m² n'a jamais été appliqué pour les logements collectifs, et que la dérogation à 57.5 kWh/m² a été prorogée année après année depuis 2012 : un immeuble de logement collectif construit en 2020 au niveau réglemenaire est donc moins performant qu'un immeuble BBC Effinergie construit... il y a 15 ans ! On souhaite vraiment croire que les promesses d'améliorations seront tenues, et que le "label RE2020" tiendra son rôle... mais on ne peut malheureusement s'empêcher de douter.
On le savait officieusement depuis la mi-octobre et la 6ème réunion de concertation, c'est maintenant clair pour tout le monde : la RE2020... sera bel et bien la RE2021, et la publication des textes n'arrivera pas au pied du sapin. Ci-dessous le programme :
Beaucoup de monde, et nous les premiers, attendions cette valeur avec impatience : qu'en sera-t-il du Bbio, ce besoin bioclimatique qui qualifie la performance intrinsèque du bâtiment ? L'administration répond (partiellement) à la question : par rapport à la RT2012, le Bbio maximum sera abaissé de 30%. C'est une amélioration significative et qui reste ambitieuse pour une valeur réglementaire, dont la vocation est de servir d'étalon pour tous les bâtiments. Un bon point, qui ne nous empêchera pas pour autant d'aller plus loin dans nos prescriptions le cas échéant !
Pourquoi faire la fine bouche, alors ? Car la réponse n'est explicitée que pour les bâtiments de logements. Or, lors de la réunion de concertation d'octobre, l'administration s'était positionnée sur une fourchette d'amélioration de 10 à 30% selon les bâtiments. On est sur le haut de la fourchette pour les logements (et c'est ce qui est mis en avant dans le communiqué de presse), mais difficile de savoir encore ce qu'il en sera pour les bureaux ou les bâtiments d'enseignements. 10 %, 20%, 30% de mieux ? Faites vos jeux, et rendez-vous dans quelques semaines pour les réponses.
L'administration annonce explicitement la fin du chauffage au gaz dans le résidentiel : immédiatement pour l'individuel, à moyen terme pourle collectif. C'est une vraie rupture assumée ici, en visant la décarbonation de la production thermique, et un basculement du gaz (solution la plus commune pour la RT2012) vers les pompes à chaleur et la biomasse.
L'indicateur utilisé pour cela est le niveau d'émissions pour les consommations : plutôt que d'avoir un Eges (pour l'ensemble des émissions) et un EgesPCE (la sous-partie des produits de construction), on va ainsi avoir :
Pour les maisons individuelles, on annonce pour ces consommations énergétiques un seuil à 4 kgCO2/m² an. Pour les logements collectifs, le seuil sera fixé à 14 kgCO2/m².an, avant un abaissement annoncé en 2024 à 6 kgCO2/m².an. L'idée est de n'autoriser le gaz que pour les bâtiments assez performants aujourd'hui, et de le proscrire à terme.
Prenons un exemple pratique, et un bâtiment de logements assez performant ayant des besoins thermiques annuels (chauffage + ECS) de 45 kWh/m² (on néglige par simplification les émissions liées à l'électricité spécifique)
Dit autrement, le gaz sera donc proscrit dès l'an prochain dans les bâtiments de logements collectifs "non vertueux" consommant plus que 55 kWh/m².an de chaleur, et disparaîtra de toute façon en 2024 si l'ambition des 6kg est confirmée.
Projet de 60 logements en bois, chauffés au bois, conçus avec LA Architecture
Pour conclure sur ce sujet, reste la question souvent évoquée de l'électricité : on s'est fait plusieurs fois l'écho ici des discussion houleuses sur la diminution programmée du facteur d'émission de l'électricité et de son coefficient de conversion Ef-Ep (le fameux 2.58), avec les potentiels effets pervers que cela pouvait soulever... à commencer par une réouverture de la porte à l'effet Joule. Si personne ne s'oppose en effet aux pompes à chaleur performantes, il serait bon que la nouvelle réglementation ne permette pas un retour des "grille-pains"...
L'administration répond partiellement là-dessus en s'appuyant sur un nouveau seuil maximal de consommation d'énergie primaire non renouvelable dont nous vous avions déjà parlé cet été. Une manière détournée de favoriser les pompes à chaleur et la biomasse, et de barrer la route aux convecteurs électriques. Très bien, mais on constate que les discussions doivent toujours être en cours, car aucune valeur n'est encore proposée pour cet indicateur.
C'est le gros sujet du moment : l'administration insiste sur l'ACV dynamique. On vous a déjà parlé plusieurs fois de cette méthodologie et de ses vertus (dès l'an dernier, où nous avions bien anticipé le sujet !) : il s'agit d'une repondération temporelle des émissions, à la manière d'une actualisation financière, pour donner plus de poids aux émissions d'aujourd'hui, par rapport aux émissions futures. C'est un moyen détourné de valoriser le stockage de carbone biogénique dans les matériaux biosourcés, et c'est assez cohérent avec ce que devraient être les actions contre le changement climatique, où tout ce qui est fait le plus tôt possible est souhaitable.
Pour les matériaux biosourcés, on a en effet d'abord un stockage de carbone (émissions négatives), et les émissions sont concentrées en fin de vie (combustion, mise en décharge). Alors que la somme des deux serait nulle en ACV statique, l'ACV dynamique permet de valoriser la "séquestration" de ce carbone pendant 50 ans (ou bien plus) en donnant plus de poids aux émissions négatives initiales. Ce sujet a déchaîné les passions lors des réunions de concertation, car la nouvelle méthode bouleverse (pour le meilleur, d'après nous) le rapport de force comptable entre les produits biosourcés et les autres.
En effet, on va peut être enfin valoriser ce stockage carbone que la réglementation n'a jusqu'ici jamais réussi à faire entrer dans les moeurs : souvenons-nous du décret bois de 2010, jamais appliqué et finalement enterré en 2015. On vous en parlait cet été, la réglementation devrait définir un indicateur de stockage de matériaux biosourcé (Mstock en kg/m²), mais il est clair que celui-ci ne sera qu'indicatif : dans ce cas, l'ACV dynamique est un moyen de valoriser malgré tout le stockage carbone.
Projet de 17 logements passifs tout bois, conçus avec A003
La méthodologie de l'ACV dynamique soulève toutefois une question importante : on vient en effet modifier les bilans relatifs des matériaux les uns par rapport aux autres (en favorisant les biosourcés et leur stockage carbone, ce qui est à saluer), mais on modifie également leur bilan absolu. Du fait de l'amortissement des émissions futures, le bilan carbone d'un bâtiment donné apparaît comme plus faible avec l'ACV dynamique : ce n'est pas grave si et seulement si les seuils sont baissés d'autant, et il ne faudra pas que cela créée une sorte d'effet d'aubaine, où des bâtiments médiocres se retrouvent par enchantement en-dessous de seuils "habituels" qui seraient devenus artificiellement hauts par rapport aux nouveaux calculs.
Et c'est là où le bât blesse, pour l'instant : il n'y a pas de réponse pour l'instant sur le seuil Eges. Plus "inquiétant", le communiqué de presse laisse penser que le seuil fixé en 2021 sera assez faiblement contraignant : la première phase (2021-2024) sera une "phase d'appropriation", sans "créer de contrainte d'utilisation immédiate de tel ou tel matériau". Et on attend d'arriver à 2030 pour que "les matériaux biosourcés deviennent systématiques en second oeuvre et très courants en gros oeuvre". La prudence est donc de mise, comme à chaque fois que l'on renvoie à plus tard la réalisation effective des ambitions que l'on proclame aujourd'hui.
Dernière précision technique : ce cap méthodologique faisant la part belle au bois sera nuancé dans les zones climatiques les plus chaudes (pourtour de la Méditerranée) pour des raisons de maîtrise de l'inertie et du confort thermique.
Cela faisait partie des grandes nouveautés présentées cet été : la prise en compte du confort d''été devait être revue de fond en comble, notamment avec une prise en compte du confort adaptatif (on ne ressent pas de la même manière une température de 28°C en avril ou en août) et la mise en place d'un système de "climatisation fictive".
Sur ce sujet, il y a bien un pas en avant, mais finalement moins d'ambitions méthodologiques : la future réglementation abandonne la Tic (il était temps !) et retient la mise en place d'un double seuil de degré.heures (DH) de dépassement, calculé sur un fichier météo caniculaire (2003), et sur la base de 28°C le jour et 26°C la nuit :
Le passage à des degrés.heures est une bonne nouvelle attendue, mais on regrettera l'abandon de la très bonne idée qu'était la prise en compte du confort adaptatif, une manière plus fine et plus réaliste d'approcher le sujet.
Les récentes annoncent donnent des gages méthodologiques et des signes forts pour une décarbonation de la construction, que ce soit avec la prise en compte de l'ACV dynamique ou un seuil exigeant sur l'impact carbone des consommations d'énergie. Sur les logements au moins, l'ambition portée sur le Bbio est également à saluer, même si on aimerait toujours aller plus loin, plus vite. Enfin, la meilleure prise en compte du confort d'été est un bon point, même si elle se teinte d'un goût d'inachevé.
Pour autant, les ambitions absolues sur le carbone restent dans l'ensemble à préciser, et il nous semble très probable que la version 2021 de la réglementation reste assez peu ambitieuse sur les niveaux visés, en laissant le soin à des mises à jour futures (de 2024 à 2030) de tenir un cap plus fort : ce parti pris nous inquiète, car les expériences récentes sur la RT 2012 (et sur les politiques énergie-climat en général) nous ont largement échaudé quant au sérieux de promesses faites aujourd'hui mais laissées à une réalisation future.
Cette dernière crainte est d'ailleurs confortée par la conclusion du communiqué de presse, qui se hasarde à mettre des chiffres sur les surcoûts économiques de la prochaine réglementation. Et en rapellant que les surcoûts anticipés pour la RT2012 étaient de 10 à 15% (en précisant que cette anticipation était en fait surestimée), il anticipe cette fois des surcoûts pour la RE2020 de 3 à 4% : comment imaginer alors de manière crédible un vrai changement de cap sur la construction ?
En conclusion, nous restons pour l'instant dans une posture d'attente vigilante, et nous continuerons quoi qu'il arrive à pousser nos projets au-delà des (futures) exigences réglementaires ! Enfin, au-delà de cette réglementation pour les bâtiments neufs, nous continuerons bien sûr à oeuvrer en priorité pour la massification des rénovations énergétiques, un sujet avec un effet de levier sans commune mesure pour le respect de la stratégie nationale bas carbone !