Difficile de passer à côté en ce moment : le travail préparatoire pour la future RE2020 entre dans la dernière ligne droite, avec des arbitrages décisifs attendus début 2020... et de nombreuses inquiétudes sur l'ambition finale du texte sur les volets énergie et carbone. Amoès vous propose un décryptage de deux points importants : le rôle du bois pour construire bas carbone, et la bonne prise en compte de l'impact du photovoltaïque.
En guise d'introduction, une prise de recul importante : n'oublions pas que toutes ces (passionnantes) discussions ne portent que sur la construction neuve, objet de la future réglementation. Ces constructions ne représentent qu'un léger accroissement (et non renouvellement, comme on l'entend souvent) du parc existant, et elles sont de toute façon en moyenne beaucoup moins impactantes sur le climat que les vieux bâtiments, qui restent trop souvent très énergivores et reposent sur un approvisionnement fossile.
N'oublions pas la rénovation ! C'est bien là et pas dans le neuf que se trouve le levier de réduction de l'impact carbone du bâtiment, et de très loin s'en faut. Le temps presse, et nous ne pouvons plus nous permettre d'oublier l'enjeu principal du secteur.
Des documents de l'administration (sur le coefficient de conversion de l'électricité et plus récemment sur les évolutions prévues de méthodologie) ont ainsi semé le doute, avec des risques qui nous semblent extrêmement lourds, et notamment :
Amoès s'est pleinement associé à l'action initiée par notre confrère Thierry Rieser d'Enertech, et qui a débouché sur un communiqué en ligne soutenu par plus de 1000 acteurs du bâtiment, notamment architectes et ingénieurs. Un message clair : nous voulons une RE2020 vraiment ambitieuse, à la hauteur des enjeux environnementaux et énergétiques. Pour aller plus loin, vous pouvez également retrouver un décryptage de Negawatt sur le sujet et d'autres précisions de Thierry Rieser.
Avec le C- et l'indicateur EgesPCE, nous sommes devenus plus familiers de la prise en compte de l'impact carbone des produits de construction. Rappellons que c'est un enjeu essentiel : 40 ans de réglementations thermiques ont permis de diminuer les consommations énergétiques (et les émissions qui vont avec), et les matériaux de construction ont mécaniquement pris une part plus importante dans les bilans carbone sur 50 ans, au point de devenir largement prépondérante dans un bâtiment en béton ; il est donc crucial de se mettre enfin à construire "bas carbone".
La marche à suivre semble alors claire : choisir des matériaux bas carbone, notamment pour la structure (car c'est là que se trouvent les leviers les plus importants), aller récupérer les FDES et analyser l'indicateur de Réchauffement climatique en kgCO2éq sur 50 ans. On pourrait ainsi retrouver les valeurs suivantes, qui seront utilisées pour calculer le Eges :
Si simple ? Et bien non ! Car si c'est bien cet indicateur qui est retenu pour le C-, il a un inconvénient majeur : outre le fait de considérer que l'on met tout à la benne après 50 ans (ce qui, on l'espère, sera faux pour chacun des deux exemples ci-dessus), c'est un indicateur statique, où l'on ramène à un même instant l'ensemble des émissions sur 50 ans. Or, le bilan des émissions sur 50 ans cache des sous-postes d'émissions, de la phase de production jusqu'à la fin de vie :
En analysant cette dynamique, et en gardant l'hypothèse simplificatrice sur la durée de vie, on peut faire la représentation suivante pour les émissions, qui est bien plus parlante, que ce soit à l'échelle d'une FDES ou en faisant l'exercice sur un bâtiment (2) :
Ainsi, lorsque les résultats de l'ACV nous montrent qu'un bâtiment en bois permet de diviser par 2 le poids carbone de sa structure, ils sous-estiment en fait très largement l'écart réellement observé pendant l'essentiel de la durée de vie du bâtiment, qui est bien plus grand !
C'est un résultat crucial, car la réponse aux enjeux climatique revêt un caractère d'urgence : la stratégie nationale bas carbone (SNBC) prescrit un effort immédiat, et le récent rapport du Haut Conseil pour le Climat a alerté sur la dérive des émissions par rapport aux objectifs. En effet, la neutralité carbone à horizon 2050 passe par une diminution drastique des émissions, d'un facteur 6 par rapport à la référence de 1990. Plus le chemin de la diminution sera emprunté tard, plus la baisse devra être intense, et plus elle a de chance de se révéler contrainte... et fortement désagréable.
La grande force du bois dans son utilisation en structure est donc bien de pouvoir stocker du carbone pendant la durée de vie du bâtiment... qui peut être très longue, en témoignent par exemple les immeubles Hausmanniens (oui oui, c'est bien de la structure bois) qui n'ont pas bougé depuis 150 ans. Il se trouve que depuis la loi Elan, le Code de la construction et de l'habitation (article L.111-9 pour être précis) prévoit des exigences en matière de stockage carbone, charge à un futur décret d'en préciser les modalités. Le noeud du problème est bien là, et on se souvient du décret bois de 2010 qui a été abrogé en 2015 sans jamais avoir été appliqué. La prise en compte du stockage carbone dans la RE2020 est aujourd'hui annoncée par l'intermédiaire d'un indicateur secondaire d'ACV dynamique(3) ... mais sans qu'il ne soit forcément assorti d'une exigence de résultats...
En conclusion, on peut retenir les deux messages suivants :
La mise en oeuvre de photovoltaïque a deux conséquences dans la méthodologie E+C- :
Jusque là, tout va bien. Sauf qu'un détail de la méthodologie vient compliquer cela, sur le volet du carbone. En effet, l'impact du photovoltaïque est pris en compte uniquement à hauteur du taux d'autoconsommation :
Dans cette formule, pour obtenir l'impact carbone du lot photovoltaïque, on multiplie le nombre de panneaux, leur impact cabrone unitaire, le facteur de renouvellement (car leur durée de vie typique est inférieure à 50 ans)... et le taux d'autoconsommation, qui représente la part de la production photovoltaïque qui est consommée à demeure.
Point important : cette autoconsommation est un facteur physique, qui ne dépend que de la typologie de bâtiment (bureaux, logements...) et de la structure des consommations électriques (plus ou moins de chauffage électrique, d'éclairage, etc). Elle n'est en rien liée avec le dispositif juridique autour de l'installation (autoconsommation collective, revente totale, etc...), mais vise à rendre compte de ce qui se passe vraiment pour les électrons produits. Cela a bien un sens : dans un logement, en général peu occupé en journée lorsque la production est maximale, l'autoconsommation sera naturellement bien plus faible que dans un bâtiment tertiaire occupé justement en pleine journée.
Pour E+C-, l'impact carbone de l'installation est donc fonction de ce taux d'autoconsommation. On peut représenter l'évolution de différents indicateurs en fonction de la taille de l'installation photovoltaïque. Sur le graphique suivant, on représente en fond bleu les niveaux de base (hors photovoltaïque) du Cep et du Bilan BEPOS (Cep "étendu") d'un projet :
À mesure que la taille de l'installation photovoltaïque augmente, on a donc :
L'idée sous-jacente est donc de flécher l'impact carbone de construction des panneaux vers la même destination que les électrons qui en sortiront. Sauf que le travail n'est fait qu'à moitié ! En effet, si on imagine un taux d'autoconsommation de 50%, alors la moitié de l'impact carbone des panneaux sera attribué au bâtiment... mais les 50% restant ne seront tout simplement pas pris en compte ! Pour aller jusqu'au bout de la logique, il faudrait faire évoluer le facteur d'émission du réseau électrique à mesure que l'on ajoute des capacités de production, en intégrant leur poids carbone marginal pour augmenter ou diminuer le facteur d'émission du réseau(4).
Ceci est particulièrement problématique car de nombreux bâtiments ont structurellement des taux d'autoconsommation très faibles : c'est notamment le cas des internats, dont les consommations mobilières au sens de E+C- sont nulles. Les consommations électriques dans leur ensemble sont donc très limitées, et un internat que nous avons étudié avait un taux d'autoconsommation de 8% seulement, malgré une surface de panneaux photovoltaïques suffisante pour atteindre le niveau E4 (bâtiment à énergie positive) : dans ce cas, 92% de l'impact carbone des panneaux était donc oubliée du bilan !
Si l'on revient au chapitre précédent sur la construction bois et l'urgence de la diminution des émissions, ceci se révèle encore plus grave : en effet, les panneaux photovoltaïques offrent le bénéfice d'une énergie renouvelable pendant toute leur durée de vie, au prix des émissions initiales de leur fabrication. La pertinence carbone de la production photovoltaïque est encore un autre débat, mais on commet en tout cas une erreur critique en mettant sous le tapis la majeure partie des émissions de fabrication, qui sont celles que l'on paye aujourd'hui !
En conclusion :
(1) L'impact carbone en phase vie en oeuvre est légèrement négatif du fait de la valorisation de la carbonatation du béton.
(2) Remarque méthodologique - le profil initial d'émissions pour le bois est un peu différent entre les FDES (exemple 1) et le bâtiment (exemple 2) : dans le cas de l'exemple 1, tout le module A (production et mise en oeuvre) a été regroupé sur 1 an ; dans l'exemple 2, le module A a été séparé et réparti sur 2 ans, avec une valeur négative (production avec le stockage carbone) puis une valeur positive (mise en oeuvre).
(3) L'ACV dynamique pondère à la baisse les émissions ayant lieu dans le futur, donnant donc plus de poids à l'impact carbone de la fabrication, qu'il soit fortement positif (comme pour le béton), ou fortement négatif (comme pour le bois). Cela revient à la logique d'actualisation que l'on utilise notamment pour les calculs en coût global.
(4) Notons d'ailleurs qu'en pratique, avec une électricité fortement décarbonée en France et des panneaux photovoltaïques souvent fabriqués avec une énergie très carbonée, cela dégraderait aujourd'hui le facteur d'émission du réseau.