Du pisé, du bois, de la paille et du low tech pour le groupe scolaire Anita Conti au Taillan-Médoc

Il y a deux ans (déjà !), on vous racontait notre visite du groupe scolaire de Simone Veil à Rosny-sous-Bois (93). Un petit saut de 600 km vers le sud-ouest, et c'est cette fois Oriane qui prend la plume pour vous présenter notre visite du groupe scolaire Anita Conti au Taillan-Médoc (33). C'est une opération de 5 classes élémentaires, 3 classes maternelles, espaces partagés d’accueil périscolaire et de restauration, ainsi qu’une salle polyvalente accessible aux associations de quartier ; le bâtiment marque l’entrée de ville et se positionne à proximité de grands espaces forestiers. Quelques jours avant sa mise à disposition, Odeys a permis une visite à ses adhérents, dont fait partie Amoès !

Ce sont avant tout les couleurs chatoyantes des façades en pisé qui sautent aux yeux, une matérialité considérée atypique dans la région. Un point sur lequel l’architecte Catherine Duret (Node Architecture), originaire des Hautes-Pyrénées, revient : le patrimoine du pisé est largement connu dans la région Auvergne Rhône-Alpes, mais l’Occitanie et la Nouvelle-Aquitaine sont des régions qui elles aussi ont leur patrimoine en terre crue. Et le voici élargi, avec le groupe scolaire Anita Conti !

Lors de son introduction, Node Architecture souligne le choix courageux de la maîtrise d’ouvrage quant à la sélection d’un ancien site artisanal : cela induit de composer non seulement avec des terres polluées, mais également avec une parcelle très étroite et allongée en cœur de tissu pavillonnaire de gabarit bas, de surcroît non orientée majoritairement au Sud et au Nord (et donc pas optimale pour une architecture bioclimatique). Pour intégrer le groupe scolaire dans son contexte, les architectes séquencent le bâti avec des toitures à 2 pentes, décalent les volumes et s’offrent une végétalisation inspirée des espaces forestiers des propriétés viticoles voisines et de la charte paysagère de la ville. Il aurait été plus facile de s’inscrire sur une parcelle libre et d’avoir une page blanche pour concevoir, mais cela aurait été au prix d’une artificialisation des sols que le la commune a eu la volonté de limiter.

Williams Saves (Node Architecture), nous a ensuite présenté les principales qualités constructives à retenir :

  • Un bâtiment à haute performance énergétique
  • Le recours à des matériaux biosourcés et géo sourcés – Niveau 3 à 120 kg/m² atteint (rappelons que le seuil du niveau 3 est à 36 !)
  • Un niveau E3-C2 calculé en fin de chantier
  • Un confort d’été optimisé
  • Une lumière naturelle qualitative et optimale dans tous les espaces
  • Une démarche HQE sans objectif de certification, permettant de faire le focus sur les sujets vraiment importants pour la ville du Taillan-Médoc

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Sur ses toitures orientées Sud, le bâtiment est équipé de panneaux photovoltaïques permettant à la construction d’être quasiment à énergie positive. La production est utilisée sur site en autoconsommation et le surplus est revendu.

L’autonomie lumineuse est calculée dans les espaces de travail entre 70 et 92%, notamment par l'appui ponctuel de fenêtres de toit, de puits de lumière, ainsi que "d’étagères à lumière" faisant par ailleurs office de brise soleil.

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Le point remarquable (et visiblement notable !) de la conception est le recours au pisé de terre crue sans adjuvant, proposé au rez-de-chaussée du groupe scolaire, sur des murs porteurs de 40 cm d'épaisseur, faisant office de socle à l'ensemble du bâti.

Les bandes pisées de 14cm se superposent et sont rythmées par des lignes de chaux plus claires. Également, on retrouve sur les angles de ces façades en pisé des sapins de chaux, protecteurs aux chocs et qui rappellent l’architecture en pisé traditionnellede l'est de la France.

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Les concepteurs ont par ailleurs multiplié le recours aux matériaux biosourcés séquestrateurs de carbone avec des murs à ossature et toitures à caissons bois généralisés sur le projet. Ils assurent un déphasage thermique important : 9h en vertical, et 10h en toiture. On soulignera la mise en œuvre de menuiseries bois  provenant du Sud Gironde, thermiquement performantes. Par ailleurs, des compléments d’isolation avec du coton recyclé ou de la fibre de bois ont été mis en oeuvre. Les isolants industriels sont ainsi strictement limités aux usages sous dallage et toitures végétalisées nécessitant avis techniques spécifiques.

Résonance Paille, qui accompagne également cette visite, précise avoir rassemblé tous les acteurs autour de la table pour assurer une paille provenant de Charente et Charente Maritime (la Gironde dédiant ses terres au vin, et les Landes plutôt au maïs actuellement !). Les règles Pro paille, Pro terre ont été suivies sur la préfabrication et la construction, et les acteurs du projet (dont les architectes !) se sont par ailleurs formés à la construction paille. Une acculturation collective au recours à ces matériaux vivants s’est avérée nécessaire pour respecter les temps de pose et de séchage. Enfin, afin de protéger la filière, Résonnance Paille précise avoir établi un cahier des charges aux agriculteurs quant à l’approvisionnement, ainsi que des fiches de traçabilité de la paille pour le volet assurantiel.

Lorsque la terre n’est pas porteuse, elle est proposée en enduit intérieur, judicieusement positionnée en élémentaire (où les enfants sont plus calmes) et avec des plinthes larges faisant office de protection et d’arrêt d’enduit. Quant à la paille, elle s’habille d’enduit à la chaux en façade extérieure. L’architecte précise avoir soigné le mariage de ces matériaux vivants, essentiel pour bénéficier de leur hygrométrie et capacité de déphasage : le pare vapeur est positionné en intérieur, mais à l’extérieur, l’enduit est directement posé sur la paille.

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Ce que nous ne voyons pas, mais qui est expliqué lors de la visite, ce sont les étapes méthodiquement suivies sur le projet de pisé:

  • Une caractérisation des terres avec Amaco, le BET « terre »
  • Des tests de compression itératifs pour arriver à la bonne formulation
  • Un choix de terre crue de Dordogne pour proposer une colorimétrie de terre correspondant à l’imaginaire collectif de la terre - souhaité pour un bâtiment démonstrateur (la terre locale est grise)
  • Des tests sur prototypes
  • Une souplesse architecturale sur le dessin de façade des concepteurs et du MOA pour définir les hauteurs de fenêtres en cohérence avec les lames de pisé

L’équipe attire l’attention sur le planning de la construction : le chantier a été réalisé post covid et n’a souffert d’aucune pénurie de matériaux de clos couvert, hormis le polystyrène sous dallage. Merci aux matériaux naturels !

Construire avec le vivant demande toutefois d’adapter le planning : les moissons ont généralement lieu en juillet-août (rappelons l’origine des vacances scolaires, établies pour permettre aux enfants de revenir aider leurs parents à la moisson !). Quant au pisé et à l'enduit sur paille, ils se réalisent de mars à octobre pour avoir les meilleures conditions de réalisation, et assurer une bonne mise en œuvre et durabilité.

Construire en pisé, c’est donc allonger les temps de conception et les temps de coordination : ce sont des données d'entrée qui doivent être intégrés par la maîtrise d'ouvrage.

Pour le BET environnement 180 degrés Ingénierie, la conception s’est travaillée dès le plan masse et avec la ferme intention de proposer un équipement naturellement confortable, sans avoir à compter sur des utilisateurs occupés par ailleurs auprès des enfants (on ne mise pas tout sur la gestion des stores en été, par exemple). Sur un bâtiment orienté Est-Ouest, et donc soumis à un yoyo hygrothermique constant, ce sont des points de tirage thermique naturel zénithaux couplés aux brasseurs d’air qui accompagnent la ventilation mécanique pour stabiliser les conditions intérieures.  Les études ont été menées par les ingénieurs pour confirmer le maintien d’une température à moins de 26°C en été dans les salles de classe, et ce en prenant en compte des fichiers météo intégrant le changement climatique (moins de 10 h de dépassement pendant la période d'occupation).

La qualité d’enveloppe a été travaillée non seulement en rationnalisant les surfaces vitrées, mais en se souvenant aussi que les parois opaques se doivent de freiner l’onde de chaleur solaire : en intérieur, on joue donc sur l’inertie des planchers en béton, revêtus de linoléum naturel.

Côté ventilation, des micro centrales de traitement d’air accessibles depuis des placards dans les circulations sont dimensionnées pour desservir les classes 2 par 2 : ceci permet de garantir une certaine souplesse dans ce bâtiment hétérogène par son architecture et ses orientations. Node Architecture confirme l'impact architectural par cette conception technique, mais a évidemment fait le choix du confort des utilisateurs et de la réduction des consommations énergétiques du poste de ventilation.

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Les fenêtres de toit sont proposées en complément pour assurer un tirage thermique sur les espaces ne pouvant proposer de ventilation traversante.

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L’émission est proposée par plancher chauffant à haute. Ils sont alimentés par une chaufferie biomasse que nous n’aurons pas vu cette fois-ci, le bâtiment étant en cours de mise en service.

Le low tech se confirme par l’absence de batterie chaude sur centrales de traitement d’air : l’enveloppe est performante et les apports internes des enfants font vite monter le bâtiment en température ! Et bien sûr, pas de batterie froide non plus ! Dans les étages, des ouvrants de ventilation naturelle derrière les brise-soleil orientable permettent de décharger le bâtiment la nuit, par ouverture manuelle sans motorisation et de façon sécurisée.

On peut regretter que les espaces extérieurs de cours soient en enrobé bitumineux et trop peu végétalisés, mais la fonctionnalité et la pratique sportive dans l’école ont forcé l’équipe à mettre un mouchoir sur ce point. Toutes les toitures plates sont cependant végétalisées et des poches avec merlon font partie de l’aménagement paysager. L’occasion pour Node Architecture de nous donner une dernière anecdote de chantier : le lot Voirie-Réseaux, se sentant en marge de l’engagement environnemental mené sur tous les autres lots, a souhaité lui aussi faire proposition sur son lot aux architectes pendant les travaux ! C’est ainsi qu’une partie de la cour se voit proposer du liège en revêtement extérieur, et des jeux en pneus recyclés.

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A noter, un espace de jardinage bien pensé avec espace de compostage, rangement d’outils, zone à proximité de réutilisation des eaux pluviales et espace de plantation transitoire pour stocker les pousses avant plantation définitive. Il est rare de voir ces espaces bien traités !

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Enfin, l’équipe et Odeys confirment que les subventions régionales du dispositif Bâtiment du Futur ont boosté la mise en œuvre ces solutions atypiques. La reprise du dispositif reste donc attendue par tous pour porter d’aussi beaux projets !

La visite est enfin l’occasion de donner quelques chiffres financiers :

  • Construction paille entre 1300 et 1800 €/m² suivant les compositions
  • Opération entre 2500 et 2800/m² selon les zones, là où des opérations de logement, isolant polystyrène et enduit sur béton, sortent encore dans la région à 2400 eur/m²

Il semble largement temps de casser les idées reçues sur le coût de construction des matériaux biosourcés, sans se voiler la face sur le planning induit et la nécessité de repenser l’architecture. L’équipe s’est révélée inspirante à travers cette visite et se veut porteuse de plus d’un message important :

  • Ne jamais démarrer sans se rapprocher d’un bureau de contrôle compétent dans le domaine des matériaux biosourcés
  • Penser en coût global est majeur pour une maitrise d’ouvrage, mais il faut accepter que les temps de ces études ne soient pas en cohérence directe avec les temporalités politiques
  •  S’adosser aux acteurs locaux dont la mission est de développer les filières biosourcé, notamment dans la commande publique (Odeys et Résonance Paille en Nouvelle-Aquitaine, mais ces dispositifs sont largement développés dans toutes les régions)
  • Se rendre auprès des agriculteurs en lien avec la construction paille, et des producteurs de matériaux
  • Encourager la formation des entreprises et même leur offrir les règles professionnelles sur les filières en développement, ça ne coute pas grand-chose !
  • Bien marier les matériaux vivants, ne pas les brider au risque de ne pas profiter de leurs propriétés hygrothermiques
  • Communiquer sur les coûts au m² pour casser les idées reçues sur la construction bio et géosourcée

Dernier clin d'oeil, avec le nom du groupe scolaire : l'engagement environnemental de l’océanographe Anita Conti, qui a dressé les premières cartes visant à rationaliser les pratiques de pêche industrielles, semble bien en cohérence avec celui qui a présidé à la construction de ce groupe scolaire !

Nous repartons en tête avec la conclusion de Williams en fin de visite, qui souligne que ce type de construction devrait être la base. On ne pourrait être plus d'accord avec lui !

Équipe de maîtrise d'oeuvre :

  • Mil-Lieux : architecte mandataire
  • NODE Architecture : Architecte associé et paysage
  • 180° Ingénierie : BET Environnement
  • AIA Ingénierie : BET TCE
  • EMACOUSTIC : BE Acoustique

Entreprises :

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